MCC Ikéa

Lyon, 26 août 2011

Il pleut à torrent, le ciel est chargé de nuages d'orage et les éclairs fusent dans tous les sens. Sur la route de l'aéroport de Lyon Saint Exupéry je vérifie sans cesse le statut de mon vol avec mon téléphone portable. Pas d'annulation, on continue. Malgré la petite centaine de mètres qui séparent le parking auto de l'aérogare, nous terminons notre course trempés jusqu'aux os. Nous sommes bien en avance donc nous pouvons nous rendre tranquillement au comptoir d'enregistrement et faire un petit tour dans le terminal. L'orage continue de gronder mais sur le tableau d'affichage tous les vols sont maintenus. D'ailleurs le CRJ 900 de la SAS qui doit m’emmener de Lyon à Copenhague ne va pas tarder à se poser. Là-bas j'attraperai ma correspondance à bord d'un A321 direction Stockholm Arlanda, en Suède, pour 10 jours en stage MCC (Multi Crew Cooperation). Cette formation est destinée à nous apprendre le travail en équipage.

22h, réveil en douceur au moment du toucher des roues, je flanque mes valises dans une navette de l'aéroport d'Arlanda qui me dépose devant un grand bâtiment de verre estampillé Oxford SAS. Je partage une twin au Night Stop juste en face de l'école avec Michael, un pilote italien qui vit en Angleterre. Nous avons choisi de faire la MCC ensemble car nous nous connaissons bien ayant été plusieurs mois voisins de chambre à Stapleford. Et le choix de son binôme est un détail à ne pas négliger. Au cours de la formation, un équipage n'a pas réussi à s'entendre, il n'ont pas trouver le moyen de collaborer efficacement (propos sortis de leurs bouches); l'objet de la MCC justement.

Allez au lit ! Demain à partir de 9h nous reverons les systèmes du 737-300 et les procédures opérationnelles que nous utiliserons tout au long de ce stage. Le cursus est bâti en collaboration avec Ryanair et donc ce sont leurs procédures, utilisées quotidiennement sur des centaines de vols, qui nous servirons de socle pendant les séances de simulateur. Extinction des feux, nous nous endormons bercés par les le doux bruit des réacteurs des avions cargo au décollage.

Le lendemain matin c'est le coup d'envoi, nous passons toute la journée à jongler entre les caractéristiques techniques du B737, les différentes configurations et vitesses lors des différentes phases de vol, des annonces ou « call out » entre le pilote en fonction (PF) et le pilote non en fonction (PNF), la répartition des tâches et les zones de responsabilité. Une MCC n'est pas une qualification de type, nous devons connaître certaines caractéristiques élémentaires du 737 uniquement parce qu'il est notre outil de travail et donc nous n'exploitons pas toutes les fonctionnalités qu'offrent la machine comme l'auto poussée ou encore le FMS pour la navigation.

Les deux jours suivants sont consacrés aux CRM (Crew Ressource Management). C'est une science essentiellement tournée vers les facteurs humains et leurs conséquences. Les cours sont illustrés par des exemples concrets d'incidents ou d'accidents s'appuyant sur les enregistrements CVR et FDR (ou « boites noires ») On citera le crash de Tenerife en 1977 entre deux Boeing 747 au sol, qu'on a d'ailleurs surnommé le crash du siècle, ou encore l'accident d'un 737 de BMI à East Midlands en 1989 consécutif à une action précipitée de l'équipage et l'extinction du mauvais moteur suite à une panne d'un des réacteurs. A chaque exemple les instructeurs mettent en évidence des lacunes dans l'utilisation de toutes les ressources dont disposaient l'équipage pour répondre à une situation normale ou anormale. «L'Homme est un loup pour l'Homme», devant cette fatalité exposée par Plaute on pourrait croire qu'il n'existe pas de remède pour lutter contre soi même. Et pourtant il est terriblement efficace et s'appelle « procédure » (SOP : Standard Operating Procedure) Pour ceux qui souhaiteraient approfondir sur le sujet des facteurs humains il existe un blog très bien fait que je recommande : http://www.mentalpilote.com/

Le dernier cour avant les séances de simu n'est pas obligatoire mais personne n'a manqué à l'appel. En effet le directeur de la TRTO nous expose pendant une journée l'état du marché, les perspectives, les stratégies de recherche d'emploi, la rédaction de son CV et de sa lettre de motivation ect. Pas étonnant donc que la totalité des stagiaires aient été intéressés par cette thématique pertinente.

Enfin nous attaquons les simus, j'avoue être impatient de me mettre aux commandes car pour la première fois nous piloterons « virtuellement » un avion de transport et qui plus est un best seller. Le simulateur que nous utilisons est classé Level 5 c'est à dire qu'il est approuvé pour les qualification de type 737-300/500. Depuis 5 jours nous travaillons d'arrache-pied avec Michael pour apprendre par cœur et répéter les SOP sur le cockpit trainer. Une bonne connaissance des procédures laisse plus de disponibilité pour le reste.

La première séance est un vol de familiarisation avec la machine et les SOP. Pas de piège pas de panne mais un grand moment de découverte et d'apprentissage. Elle s'organise comme suit : une heure de briefing, deux heures en tant que pilote en fonction, deux heures en tant que pilote non en fonction et une heure de débriefing. Et à la fin du vol il ne reste pas grand chose du valeureux équipage qui s'est présenté à la porte du simu 4 heures plus tôt, nous sommes claqués !

Nous prévoyons un décollage de Stockholm Arlanda sur la piste 01L, nous avons convenu que je serai PF en premier et que nous intervertirons chaque jour. Nous fonctionnons toujours avec le copilote pilote en fonction. Aligné sur la piste je presse le bouton TOGA, avance les manettes des gaz et annonce « Set T/O thrust » au PNF. Celui-ci règle la poussée des réacteurs et dit après vérification des paramètres « T/O thrust set, indications normal ». Dans la course au décollage le PNF annonce « 80 knots » et je lui réponds « Check » en contrôlant ma vitesse indiquée. Ensuite il annonce « V1 » puis « Rotate ». En vérifiant le variomètre je lui demande « Gear up », il contrôle le vario à son tour et me répond « Positive rate » puis actionne le levier de rentrée de train. La procédure est souvent inversée dans d'autres compagnies. Le pilote automatique est désactivé la plupart du temps, en revanche nous utilisons le Flight Director, du coup à 400 pieds sol le PF demande « Bug up » et le PNF engage le mode Heading du Flight Director (HDG SEL).

(EADI du B737-300, le Flight Director est représenté par les deux barres magenta horizontale et verticale)

A 1500 pieds sol le PF annonce « Climb thrust », le PNF règle la poussée de montée et répond « Climb thrust set ». A 3000 pieds sol il est temps d'initialiser la procédure de rentrée des traînées. Il faut d'abord demander à l'avion accélérer. Le PF annonce « Bug up » et le PNF règle la vitesse à 210 nœuds et l'inclinaison max à 25 degrés. Le Flight Director demandera alors au pilote de diminuer l'assiette de montée pour atteindre la vitesse de 210 nœuds. A V2+15 kts le PF demande au PNF de passer les volets de la positon 5 à 1. Puis à 200 kts, de la positon 1 à rentrée et il répondra « Speed check, flaps up no light » ce qui veut dire qu'il n'y a pas de dysfonctionnement dans la rentrée des volets. Enfin le PF demande à son gentil et serviable PNF « Set speed 250, LVL CHG After T/O checklist » En conséquence le Flight Director va commander un maintient de vitesse à 250 kts par des variations d'assiette (mode Level Change) et le gentil et serviable PNF va lire la checklist après décollage. Et voilà notre avion monte vers son niveau de croisière, ces dialogues rigoureux rythment toutes les phases de vol. D'ailleurs au bout de quelques heures on ne peut plus s'en passer, ils deviennent la colonne vertébrale d'un vol, comme un guide, une ligne de vie en toutes circonstances. Nous poursuivons la séance en effectuant quelques évolutions, des virages à 45°, une approche ILS automatique, une remise de gaz et une nouvelle approche ILS Raw Data c'est à dire sans l'aide ni du pilote auto ni du Flight Director.

Premières impressions après ce coup d'essai : pas facile de travailler de paire et de bien communiquer avec son colistier. Le simu lui est bluffant, les moindres vibrations, bruits de ventilation et de relais électrique y sont recréés pour donner un sentiment de réalisme parfait. Du coup Michael et moi n'avons qu'une seule hâte : retourner poser nos fesses sur les moumoutes du 737 le plus vite possible !. L’excitation retombe après le débriefing, il faut se remettre à bosser car la charge de travail s'amplifie à chaque séance. Mais avant de répéter la pièce que nous jouerons le lendemain, nous nous accordons un moment de détente. Direction le terminal, Sky City, pour avaler un copieux dîner avec une vue imprenable sur la flotte de SAS.

Le vol 2 introduit les pannes moteur avant V1, les décrochages et les approches de non précision en CDFA (Approche finale en descente continue).

Lors du vol 3 nous sommes nombreux à avoir le sentiment de régresser car nous abordons les pannes moteur après V1. L'intérêt pour l'instructeur est de voir comment l'équipage travail face à une situation anormale qui demande beaucoup de ressources. C'est là qu'il faut s'en tenir strictement aux SOP, surtout ne pas se précipiter et toujours faire en sorte de garder l’équipage dans le boucle, créer une synergie qui conduira au succès de l’épreuve. En pratique ce n'est pas évident car les réflexes de monopilote reprennent vite le dessus. De plus ce simu se déroule entre 23h et 3h du matin, nous sommes crevés et cela sera notre plus mauvaise session. Qu'importe, on essaie de rester positif : on a toujours ramené l'avion sans le planter.

Le quatrième vol est pimenté par une sortie de windshear (cisaillements de vent), c'est un changement quasi instantané du vent en vitesse et direction. Nous décollons sous un météo orageuse et juste après la rotation nous remarquons une augmentation anormale puis une diminution brutale de la vitesse indiquée, déclenchant soudainement une alarme visuelle et sonore « Windshear ! Windshear ! » L'avion vibre, ça secoue fort, nous appliquons la pleine poussée et nous cabrons l'appareil proche de l'incidence de décrochage (au niveau des petites barrettes jaune sur l'EADI) en maintenant la trajectoire, et ça marche !

Enfin stabilisé en montée et croyant que le pire est derrière nous, la chef de cabine déboule dans le cockpit pour nous signaler de la fumée en cabine. Ce vol est maudit ! Avant d'enfiler nos masques à oxygène et de se lancer dans la procédure idoine, nous essayons d'en savoir un peu plus sur la provenance des émanations et surtout sur l'état de nos passagers. Après avoir coupé l'alimentation des galley nous procédons à un atterrissage d'urgence.

Le cinquième et dernier vol est orienté ligne, nous travaillons en conditions opérationnelle simulée. Nous décollons de Göteborg pour Copenhague Landvetter avec le numéro de vol RYR9522. En amont nous avons procédé à toute la préparation de la rotation, composé avec les équipes au sol, et le personnel de cabine pour quitter le poste de stationnement à l'heure. Là encore rien ne se passera comme prévu, la pressurisation nous lâche en croisière engendrant une descente d'urgence. Puis en approche sur l'aéroport de déroutement, le commandant, ayant la veille abusé du saumon fumé (le scénario autorise toutes les denrées du moment qu'elles soient avariées !), se trouve dans l'impossibilité d'assurer ses fonctions à bord. Le copilote termine le vol seul attendu par une noria de véhicules de la sécurité civile.

Nous terminons notre MCC avec un léger pincement au cœur. Après 20h de simulateur nous commencions à nous sentir un peu plus à l'aise et vraiment apprécier chaque minute de vol. Dernier débriefing, l'instructeur est satisfait de notre prestation, il me recommande d'éviter la précipitation qui m'a joué quelques tours pendant ce stage. Ensuite direction Sky City pour un dernier repas avec les autres stagiaires, on échange nos impressions et nos coordonnées.

Le lendemain matin je prend congé de Michael et m'envole pour Lyon à bord d'un CRJ 200LR opéré par Cimber pour SAS, c'est parti pour un chemin de croix qui guette chaque pilote en fin de formation : la recherche d'un job.

Commentaires

  1. Ahhh la MCC, probablement la meilleure partie de la formation, et surtout la plus concrete.
    Si je peux te donner un conseil, qui vaut ce qu'il vaut, c'est de noter tout ce qui caractérise le pilotage d'un jet, en particulier le maniement des manettes de gaz qui differe beaucoup de celui d'un avion a piston, le trimming de l'avion, la facon dont tu geres le profil vertical, quelques valeurs clef d'EPR ou N1 en fonction de la phase du vol, des exemples de briefings (tant briefing de départ que briefing d'urgence a l'attention des Cabin Crew, du type NITS), etc...
    Tout ca te sera fort utile lors des sélections compagnie et on a tendance a tres vite oublié ce genre de choses une fois les fesses posées a nouveau dans un avion d'aéroclub.
    Bonne chance pour la recherche d'emploi.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Wow, fantastique ton récit. J'adore.
    Bonne chance chance pour le reste de ta carrière, c'est vraie que le plus dur est de trouver du travail mais je ne doute pas un instant que tu en trouveras.
    Les salutations d'un frère pilote du Québec.

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  4. > golfcharlie : C'est vrai qu'on oublie vite et c'est frustrant d'ailleurs, merci pour tes conseils et surtout bravo, tu sais où tu vas être basé ?

    > Franck : Merci pour ton message, au moment où j'ai fais mon choix de FTO Air Campus ne faisaistpas de MCC, je crois que c'est toujours le cas ce qui est bien dommage vu les beaux outils qu'ils ont. De plus j'ai souhaité faire cette MCC pour m'inscrire dans le cursus cadet de la célèbre compagnie à la harpe jaune, enfin s’expatrier permet de découvrir d'autres façons de travailler, et j'ai beaucoup aimé la culture d'entreprise des Nordiques. Cela a été très enrichissant.
    A très bientôt, maintenant que tu es lâché sur le PA28 on va pouvoir se programmer une petite sortie non ?

    > Franck (du Québec): Hey ça fait plaisir d'avoir des lecteurs outre Atlantique, il y a des beaux paysage à survoler là-bas !

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  5. Vous étiez nombreux a faire le stage en meme temps?
    Je re-lis ton récit, ca me rappelle de sacrés (bons) souvenirs, se retrouver pour la premiere fois aux commandes d'un jet (simulateur, certes), ca marque les esprits.
    Je ne sais pas encore ou je serai basé, non. Je n'ai fait aucune demande pour etre honnete, je ne pense pas avoir un grand choix au final. J'aimerais bien rester en Angleterre, mais la mentalité des captains en UK est plus rigide que celle des captains francais, italiens ou espagnols. Autrement dit, basé dans le Sud donnera bien plus d'occasions de voler en manuel, ILS en raw data, et j'aurais tendance a penser qu'il y a une meilleure ambiance dans le cockpit.
    Ca recrute toujours autant ici, il faut dire qu'un nombre tres important de FOs partent chez Emirates, BA, etc, du coup ca fait un sacré appel d'air.
    Bonne chance pour la suite!
    Tu penses bosser aux opérations en attendant? FI? Remorquage?

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  7. Merci pour le long récit, Albé ! Comme l'a dit Marc, ça rappelle des bons souvenirs, et ce premier aperçu du pilotage d'un gros jet donne sacrément envie !

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  8. @ golfcharlie232 : désolé pour cette réponse tardive mais c'était l'objet de mon prochain post :-) Au sujet de la MCC nous étions 16 répartis en 2 session de 8. Encore bravo pour le TR !

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