Passager clandestin


  05h30 du matin, le réveil me sort du lit, pas vraiment le temps de traîner. Dans 1h j'ai RDV avec mon captain à la compagnie pour un décollage à 07h30. Douche, petit déjeuner à la volée, sur la route qui mène à l'aéroport j'essaie de me détendre. Objectif :  avoir le maximum de ses capacités une fois la porte du hangar franchie.

06h25, j'arrive sur le parking désert des compagnies d'aviation d'affaires. C'est calme, je pénètre dans notre bâtiment principal qui s'ouvre sur le salon d'accueil des passagers. Mon captain n'est pas encore là mais chacun connaît ses responsabilités... Première tâche, envoyer le café ! Ensuite je mets le cap sur le vestiaire pour enfiler notre combinaison de vol. Autant être en tenue si les opérations venaient à s'accélérer. Puis direction le hangar, aujourd'hui nous voyagerons à bord du Beech 200. C'est une machine confortable et performante, en outre elle correspond parfaitement à notre mission. Le king Air est dans le hangar en pole position. Un rapide coup d'oeil à l'extérieur puis je passe à la visite de sûreté intérieur et la préparation poste. La première chose qu'il faut vérifier c'est le carburant. Normalement à la fin de chaque vol l'équipage doit remettre un stanby fuel, soit 2 500 lbs de JETA1, le cas échéant il faut prévoir de sortir l'avion suffisamment tôt du hangar pour permettre un refueling dans les temps. Ensuite il faut vérifier la tension batterie, il n'y a pas d'APU sur le Beech donc le démarrage s'effectue par l'intermédiaire d'un starter/generator alimenté par une batterie de 24 volt. Si la tension de celle-ci est inférieur à 20 volt on ne peut pas entreprendre un démarrage autonome. Il faut donc la recharger ou la changer. Enfin il faut s'assurer que la cabine est correctement configurée. Il y a 3 possibilités : passagers, une civières ou deux civières. Pour notre mission nous transporterons deux patients. Ce matin il y a bien 2 500 lbs dans les ailes, la tension affiche 23 volt et  la cabine est configurée en bi-civières, à ce stade on peut déjà se dire qu'on s'absout d'un certain nombre d'emmerdes. Le reste de la préparation poste repose essentiellement sur une vérification des switch par un scanning de gauche à droite en passant par le panneau supérieur et le bloc manettes, le test du panneau d'alarme, l'ouverture de l'oxygène, le réglage de la pressurisation, retirer le blocage commande, la préparation des cartes et des fiches terrain, la présence des documents réglementaires à bord, des cartes carburant, vérifier l'armement de l'avion (gilets, trousse de secours, safety card, ceintures, ect.), et enfin que le stock de verres, serviettes, sucre, sacs poubelles, et j'en passe, soit suffisant pour le vol. Maintenant place à la visite prévol. C'est une vérification de surface que l'on recentre sur des points clés comme le carburant, les pneumatiques, les lubrifiants, l'hydraulique (freins, train d'atterrissage), les gouvernes, les entrées d'air, les sondes, l'éclairage, le retrait des caches, et l'état de la porte d'accès. Enfin, une inspection au sol permet de déceler une fuite éventuelle. 

Il est maintenant 06h45, mon captain est arrivé et à pris connaissance du dossier de vol préparé par nos soins la veille. Il reste la météo à imprimer, analyser et les cartons des performances à compléter. Entre temps les plateaux repas on été livrés, le café a terminé de couler, il reste les boissons fraîches et les sucreries à préparer afin d'achever l'armement de la machine.


A 06h50 tout est à bord de l'avion et la barre de tractage est en place. Je retrouve mon captain pour une mise en commun de notre travail respectif et un briefing. Je lui rend compte de l'état de l'avion. Si quelque chose d'anormal avait été constaté, nous nous serions reporté à le MEL (Minimum Equipement List) afin de déterminer si le vol est toujours possible et si oui sous quelles conditions. Aujourd'hui rien à signaler. A son tour il me rend compte des informations relatives à la conduite du vol, la météo, le plan de vol, les NOTAM particuliers, les performances, le partage des étapes, les points clés de la mission, les dangers potentiels qui devront retenir notre attention (météo, passage de relief, moyen radio au sol défectueux, départs ou arrivées spéciaux, pistes limitatives) bref tout ce qui peut nous éviter de tomber dans des pièges subtiles. 

07h00, Le dossier de vol et nos affaires personnelles sont installées à bord, nous sortons l'avions du hangar. Les médecins se présentent à la porte de la compagnie nous devons les accueillir et les aider à transporter et charger leur matériel. 

07h10, écoute de l'ATIS et prise de l'information en vigueur. Puis c'est le dernier moment de détente avant le vol, dernier passage aux toilettes, on échange quelques paroles avec les médecins autour d'un café, ceci afin de glaner des informations sur le déroulement des opérations.

07h15, installation à bord, je demande la mise en route pendant que mon captain verrouille la porte d'accès et procède aux vérifications d'usage. Puis c'est le briefing du SID, procédure de départ qui nous amènera du terrain vers un airway. Aujourd'hui nous décollons piste 16. 

"STOP OVER ACTIONS" lance mon captain, chacun effectue sa do-list puis je lis la check et nous vérifions respectivement que les actions ont été correctement effectuées. Il en va de même pour chaque étape du vol. 

Maintenant nos deux fidèles PT6A-42 ronflent paisiblement et la tour de contrôle vient de nous autoriser à nous diriger vers le point d'arrêt A1. Je suis PM (Pilote Monitoring) sur cette étape c'est donc mon captain qui assurera la conduite de la machine et moi les communications radio. Nous poursuivons les do-list et check-list, puis le commandant de bord présente son safety briefing, c'est à dire les points essentiels à retenir en cas de panne avant ou après V1 et la stratégie à adopter. Le but c'est qu'il soit simple et que les informations restent claires et sans ambiguïtés. Aujourd'hui il fait beau, si une panne survient après V1 nous reviendrons nous poser à vue par un circuit de piste main gauche à 1 500 pieds.

07h30 Aligné piste 16, tous feux allumés, les deux manettes de puissances sont avancées afin de donner l'élan nécessaire à notre décollage. Le King Air accélère franchement, il demande un travail continu aux pieds pour contrer le couple important dû aux hélices quadripales, sous peine de se laisser embarquer à gauche de la piste. Avec ses deux turbines de 850cv chacune, la vitesse de rotation est rapidement atteinte et nous voilà parti, gyrophares tournant, récupérer nos malades.


S'il y a bien quelque chose auquel on ne se prépare pas vraiment c'est justement l'interface entre le médical et notre métier de pilote. Je m'explique. En plus des tâches qui incombent à la conduite de notre machine d'un point A à un point B en toute sécurité, nous sommes directement confrontés à l'appareil médical et surtout aux malades. On ne peux pas y échapper. Je n'avais par exemple jamais "croisé" le regard hagard et vide d'un être humain dans le coma. Ces deux pupilles dilatées qui fixent le plafond et dans lesquelles évidement on essaie d'aller chercher comme un petit signe de vie, un clignement paupière, un mouvement quelconque, mais rien.  Si en plus le sujet n'a pas encore 18 ans on se prend alors une grosse claque. C'est déstabilisant mais à force on finit par faire preuve de cynisme pour constituer une carapace imperméable.  Malgré tout il arrive que des sujets viennent à bout des esprits les plus endurcis. Et à quelques secondes de l'interception de l'axe support de notre approche, nous sommes loin de nous douter que la gifle sera douloureuse.


L'avion se pose en douceur, nous dégageons la piste par la dernière bretelle pour nous poster à coté d'un Dornier 228. Nos médecins s'engouffrent dans deux ambulances et prennent congé. Quelques heures plus tard les ambulances se présentent au portail d'accès à l'aire de trafic. Nous savons simplement que nous venons chercher des accidentés de la route. Le portes s'ouvrent, dans le premier véhicule j'aperçois un petit garçon, le crâne entièrement recouvert d'un bandage mais qui visiblement se porte bien. Il est assis à côté d'une personne dont on sera plus tard qu'elle est sa grand mère et qui voyagera avec nous. Les médecins les gardent dans l'ambulance car ils veulent charger en premier l'adulte dans l'avion. Son cas est beaucoup plus lourd, il est dans le coma, sous assistance respiratoire, avec de multiples contusions et fractures suite au violent choc de leur voiture contre un camion. Le transfert prend du temps car il faut le manipuler avec précaution. Une fois correctement fixé sur la première civière nous chargeons leurs bagages dont un sac rempli de jouets ainsi qu'un circuit de voitures miniatures. Nous laissons sur place une énorme valise trop lourde et trop volumineuse pour voyager dans notre avion, elle sera prise en charge par l'assistance. Vient le tour du petit garçon. Les médecins nous brief sur la situation. En fait c'est toute une famille qui vient d'être brisée dans un tragique accident de la route. Une fillette de 12 ans à perdue la vie et l'adulte couché dans notre ambulance aérienne n'est autre que le papa du petit bonhomme qui attend sagement son tour. Il nous apprend que les autres occupants du véhicule, dont sa maman ont été légèrement blessés mais vont bien. Le fils n'a pas vu son père depuis qu'ils ont été admis aux urgences et ne connaît ni son état ni les circonstances du drame qu'il a vécu quelques semaines auparavant. Il faut donc être discret dans nos échanges en sa présence pour ne pas risquer un choc supplémentaire. C'est donc un médecin qui prend le garçon dans ses bras et lui explique avec beaucoup de psychologie que son papa dort encore tranquillement dans l'avion. Il monte les marches d'accès à la cabine puis lui présente son père, le petit souhaite l'embrasser. L'image est saisissante. Il faut maintenant fixer son harnais et c'est à moi qu'on confie cette tâche. Il est incroyablement calme, pas un cri pas ni un pleur, de temps en temps il s'exclame " il est beau ton avion ! "  Etant moi même papa d'un enfant de 2 ans et demi, j'avoue que le ressentiment n'est pas facile à manager. Enfin sa grand mère monte à bord, elle semble totalement désemparée, le destin a décidé de lui retirer sa petite fille et de suspendre son gendre entre la vie et la mort.

Assis dans le cockpit je presse le bouton "GROUND POWER" afin d'activer le boîtier COM1, je demande l'information météo au contrôleur et notre mise route. Les pensées s'évacuent et laissent place aux préoccupations concernant notre vol retour. Le commandant de bord procède à une dernière vérification de la machine et verrouille la porte. Nous déroulons les check-lists entre les bruits et les sonneries de l'appareillage qui maintient notre patient dans le monde des vivants. Nous rallumons les chaudières et catapultons une fois de plus dans la troposphère nos 5,7 tonnes de métal made in U.S. 


Sur le tarmac un passager clandestin nous regarde décoller, il a manqué de peu une occasion de s'inviter en vol, il nous attendra encore et encore au bord de chaque piste, il s'appelle "émotion".

Commentaires

  1. Dis-toi que nous aussi, lecteurs, on prend une gifle en lisant ce récit.

    C'est immersif au possible, on s'y croit vraiment. Et on s’imagine un peu mieux ton quotidien, avec ses opérations normales de pilote, et les à-côté du métier que l'on n'apprend pas en école de pilotage, comme tu le souligne fort justement.

    Chapeau à toi pour les missions que tu effectues. Et merci pour ces lignes, encore une fois c'est très beau à lire et personnellement je ne m'en lasse pas !

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  2. Merci pour ces commentaires, la visite de sûreté consiste à vérifier qu'il n'y a aucun objet suspect dans l'avion comme des armes, des explosifs, des stupéfiants ou effectivement une personne qui n'a rien à y faire. On regarde derrière les sièges, dans les tiroirs, dans les toilettes s'il y en a ect. bref partout où il nous est possible de regarder et où il est possible de cacher qqch de suspect. On ne peut pas démonter l'avion pour inspecter ses moindres recoins donc ça reste, comme la visite prévol, une visite en surface. Cette procédure est décrite précisement dans notre MANEX en partie B.
    Bon ce n'est pas très joyeux comme récit pour un début d'année mais tout n'est pas tjrs rose dans ce métier et j'ai donc voulu en montrer un autre aspect. Encore bonne année 2013 et bon vols !

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  3. Très émouvant, un régal.

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  4. On s'y croirait c'est vrai ! Merci de nous avoir partager cela ! :-)

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  5. Très beau récit. Merveilleux métier que tu fais, voler pour sauver des vies ... bravo

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  6. Merci pour vos messages. La suite au prochain numéro comme aurait pu dire le marquis de La Palice !

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  7. Étant moi même pompier, j'avoue avoir repenser à pas mal de situation assez dur et poignante en te lisant. Le récit est superbement bien écrit, j'adore...

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    1. Merci pour ces encouragements, bon courage dans ton métier qui ne doit pas être facile.

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