Changement de programme, la routine.

  Aucune chance d'avoir une météo correcte ces derniers jours, les rues de la ville sont détrempées et je marche à vive allure dans les allées du vieux quartier lyonnais. Demain nous partons pour Le Castellet puis Annecy donc je ne suis pas d'astreinte la nuit ce qui me permet de me détendre un peu et rejoindre des amis. Alors que je me trouve à mis parcours mon téléphone sonne, c'est le chef pilote de la compagnie avec qui je dois voler demain, peut-être a-t-il des données complémentaires à me communiquer. En fait c'est une information non moins pertinente qu'il me livre "Allo ça va ? Ah oui en fait on ne part plus au Castellet mais à Tanger pour une EVASAN décollage demain à 0400 UTC." Je lui propose d'aller tout de suite à la compagnie pour commencer la préparation du vol mais dans ce cas précis, et pour alléger le travail des pilotes vu qu'il n'y a pas d'opération, nous demandons l'assistance d'un service extérieur pour les branches sur le Maghreb. Nous passerons initialement à Marseille récupérer des médecins. Le lendemain matin, alignés en piste 16, notre sonate à quatre mains peut commencer. L'avion sort tout juste de maintenance et généralement cela apporte son lot de surprise. Pas d'exception pour notre bout de métal made in US. En montée initiale, j'applique les actions après décollage et à l'ouverture de la ventilation une odeur âcre envahit l’habitacle. Pas de fumée, pas de feu moteur, pas d'alarmes de surchauffe, et l'étude des jauges ne donne rien. Mon captain décide de stopper la montée et de revenir en vent arrière afin de juger l'évolution de la situation et éventuellement de se poser. Je préviens l'ATC de nos intentions comme le prévoit le briefing sécurité. Tout est parfaitement stable sauf l'odeur âcre qui a tendance à diminuer puis disparaître. On est en fin de vent arrière, et c'est l'expérience de mon captain qui va nous apporter l'explication. Il se souvient que la phase de maintenance appliquée ces derniers jours inclue un nettoyage des compresseurs avec un détergent puissant. Malgré le point fixe effectué par les mécanos, cela n'a pas suffi à brûler entièrement l'excédent de détergent et donc à l'ouverture des "bleed" les molécules chauffées sont entrées dans le système de ventilation. Ce qui explique initialement la forte odeur puis sa diminution. Nous sommes en finale, plus aucune odeur. Nous nous posons par précaution et, après vérification auprès des mécanos, le pronostic se révèle exact : RAS c'est bien le détergent des compresseurs. On repart dans la foulée vers Marseille par un grand CAVOK. Approche à vue en 31R juste avant le réveil de la plateforme puis roulage en 66E. Et c'est dans une tempête de ciel bleu qu'un triple 7 d'Air Austral se pose peu après nous. Quel spectacle !

 

Deux heures plus tard les deux PT6 ronronnent paisiblement en croisière, nos médecins aussi. Il reste un peu plus de 3h de vol donc nous nous mettons à notre aise. Je suis particulièrement enthousiaste à l'idée de faire cette mission car c'est ma première rotation sur le Maroc. Et la route pour rejoindre Tanger est empreinte par l'histoire des héros faconnés par Pierre-Georges Latécoère et ponctuée par des paysages de cartes postales. Nous débutons notre périple par une courte traversée de la mer Méditerranée puis nous survolons la Catalogne et sa capitale magique, Barcelone.


Les changements de fréquences sont nombreux mais les contrôleurs toujours prêts à nous faciliter la tâche. Même s'il fait beau, l'atmosphère humide laisse transparaître un ciel un peu laiteux, ce qui n'est pas franchement agréable pour immortaliser certains instants. L'avion file maintenant vers Valence en descendant la Costa Del Azahar et la Costa de Valencia. 


Comme prévu, nous sommes ralentis par une légère composante de vent de face inférieur au calcul du vent épaulable sur notre trajet, relatif à notre autonomie, consommation en carburant et vitesse sol. Nous atteindrons donc Tanger avec les réserves suffisantes et même un peu d'attente. Sur des vols longs comme celui-ci un changement significatif du vent en altitude peut très clairement rendre impossible le vol direct et l'escale technique devient impérative. Au-dessus du terrain de Valence, nous rentrons à l'intérieur des terres et mettons le cap sur Malaga. Castilla la Mancha puis la belle Andalousie. Ici, nous avons le droit au spectacle magnifique de la Sierra Nevada enneigée avec au pied du massif montagneux la splendide ville de Grenade. Enfin on aperçoit le rivage, la Costa Del sol où nous apprécions l'ampleur de la spéculation immobilière et le bétonnage intensif qui a ruiné le pays cette dernière décennie. 


L'aiguille du RMI réglé sur le VOR de Malaga bascule, nous nous engageons sur la mer Méditerranée de nouveau en direction de Tétouan. À droite le rocher de Gibraltar et son aéroport accapare le paysage. Les côtes marocaines sont toutes proches, nous débutons la descente et le contrôleur espagnol nous transfert avec la FIR de Casablanca. Je lance mon message en français mais on me répond en anglais. Entendu ce sera du British au menu. Nous sommes autorisés vers NARMI pour une arrivée NRM 5A et vraisemblablement une approche directe pour l'ILS 28. Casablanca nous transfère à Tanger, je passe mon message en Anglais et l'ATC me répond en Français... Nous sommes autorisés à l'approche ILS 28, la finale est exceptionnelle avec l'océan en toile de fond et la médina au nord du terrain sur notre droite. Quel beau pays. Nous dégageons en C1 puis roulons vers le stand 3 du parking de l'aviation commerciale. Nous sommes rapidement suivis par un Iberia et un Ryanair qui atterrissent en séquence. Sur place l'escale est courte. 





À peine le temps de se soulager, de manger un sandwich, refueler, et payer les taxes que les médecins déboulent avec le patient. Tout est déjà prêt pour le vol retour, il ne reste qu'à prendre l'ATIS et demander la mise en route. Nous attendons bien 5 min avant d'obtenir notre autorisation de mise en route du coup nous procédons à une mise en route technique afin de ventiler la cabine où il commence à faire très chaud. Le petit bout allongé sur sa civière est très courageux et ne bronche pas. Enfin nous pouvons rouler jusqu'à la piste et, alignés, nous attendons encore 5 minutes car un VFR est en train de se balader dans l'axe de piste sur la trajectoire du SID, non loin de la côte. Nous précisons à nouveau que nous sommes "ambulance flight", le contrôleur amende alors notre clairance en nous demandant de virer dès que possible sur la balise TAN après l'envol. Enfin nous prenons l'air vers les rivages espagnols, cap sur Lyon Bron. Les prévisions météo sont excellentes sur l'ensemble de notre trajet, de quoi nous procurer un vol paisible. La route est plutôt directe jusqu'à Barcelone puis nous fait faire une sorte de coude au niveau du VOR de BCN pour ensuite remonter vers MEN (Mende). Pas question de perdre de précieuses minutes, une fois en contact avec la FIR de Barcelone nous demandons une directe FJR, au bout de 2 minutes le contrôleur nous rappelle et nous autorise vers ce VOR puis, nous contact à nouveau pour nous envoyer directement sur ARBON. Nous sommes encore en Espagne et nous volons à 250 kts vers l'IAF de l'ILS 34 de Bron, ils sont vraiment "Ibères" efficaces ces Spanish (François Pérusse sort de ce corps...). Après l'indomptable Catalogne nous pénétrons en France, Perpignan se découvre au détour d'un nuage, puis les Cévennes, l'Ardèche et la vallée du Rhône.


La piste 34 de Bron est en vu, il fait beau, quelques thermiques rendent le vol moins agréable dans les basses couches. Le Beech rentre délicatement en contact avec la piste nouvellement rainurée. L'ambulance est stationnée devant la grille d'accès au parking. Le contrat est rempli la mission terminée jusqu'au prochain coup de fil insolite porteur d'une destination fluctuante, parfois.

Commentaires

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  2. Merci, non du tout, ça rendait rien avec mon portable.

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  3. Encore un superbe billet Albéric. Du même registre que ceux d'Olivier.

    Quand tu parles d'une assistance d'un service extérieur pour la préparation de votre vol, tu veux dire que ce service vous fournit un dossier de vol complet ? (OFP,Autorisation de survol,...)

    Au plaisir de te lire de nouveau !

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  4. Hello Albéric,

    Ce qui est bien dans l'aviation (et dans les récits comme celui-ci), c'est que les distances "semblent" terriblement raccourcies : on a l'impression que Bron est juste à côté de Tanger...

    Cela représente combien d'heures de vol dans la réalité ?

    Très bon récit, comme d'habitude.

    Merci aux ambulanciers du ciel pour ce travail.

    Aurélien

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  5. @ Zakaria : Un dossier à moitié complet, nos Ops externes nous préparent les FPL, les demandes de handling et les autorisations. Tout le reste est à notre charge (NOTAM, météo, log, W&B, perfos, ATFM exempt ect.) Tout le plaisir est pour moi en tout cas.

    @ Yoyo : Merci pour ton message Yoyo, LFLY - GMTT représente environ 3h30 de vol en beech C90A. Il y a des moments où j'ai regrété de ne pas être fan de Sudoku pour m'occuper :-) Plaisanterie à part, il y a tjrs un truc à faire pdt le vol.

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